jeudi, mars 12, 2015

Les Petites Choses Oubliées

Je viens de recevoir "Les Petites Choses Oubliées" le jeu de rôle indépendant de Christoph Boeckle et de Sylvie Guillaume et, une fois n'est pas coutume, je voudrais faire ici un petit rapport d'ouverture de courrier, car c'est la première fois que je ressens une émotion aussi singulière en déballant un jeu de rôle reçu par la poste.


Tout d'abord, sur l'enveloppe-à-bulles, je trouve ces deux petits auto-collants. Ce détail me touche beaucoup. En bon lecteur du Petit Prince, je perçois immédiatement, dans ces deux symboles, tout ce que mes deux amis suisses veulent me montrer : l'importance, l'éloignement, des sentiments d'amitié qu'on ne peut pas dire avec les mots, deux images qui me parlent et qui me disent des choses que je n'oublierai pas.


Ensuite à l'intérieur de l'enveloppe, je trouve un petit coffret cartonné. Le logo de L'Impromptu, photographié ci-dessus, figure sur le rabat. Ce dessin n'est pas sans me rappeler le maelstrom engendré par une partie de jeu de rôle pour deux joueurs. Or, il se trouve que ces deux personnages sont assis l'un à côté de l'autre, mais dos à dos. Les bulles, peintes en noirs, peuvent figurer le meilleur comme le pire. Dans tous les cas, ce logo énigmatique indique un dialogue rapproché, secret, intime. C'est un dialogue dont le spectateur n'a pas vraiment la clef.

Le logo de L'impromptu ne dit presque rien de la nature de cette conversation, non plus des sentiments que ces deux personnes ressentent l'une pour l'autre. Ce jeu est un jeu pour deux joueurs. Il possède deux auteurs. Il parle d'une histoire d'amour difficile et contrariée. Sylvie et Christoph se seraient-ils ainsi représentés en train de jouer à leur propre jeu ? Quoiqu'il en soit, dès l'ouverture du jeu, Les Petites Choses Oubliées provoquent déjà des émotions proches de celles que la partie va produire. La cohérence entre le support et son contenu est totale. Et, tenez-vous bien, car ce n'est qu'un début.


Mon coffret contient treize cartes postales. Douze appartiennent au jeu, la treizième est une carte écrite de la main de mes deux amis. Au dos des douze cartes, une pagination permet d'établir une chronologie entre les divers photos imprimées sur les cartes postales. Cette pagination permet également de trouver son chemin dans les règles du jeu rigoureusement inscrites au dos des cartes.

Le carton sur lequel ces photos sont imprimées est doux, presque laineux. Au toucher, les cartes postales sont à la fois douces et rugueuses. Elles représentent des scènes banales d'une vie conjugale ordinaire. Il y a deux paires de jambes en l'air, deux bonhommes de neige bleutés, deux chaises vides, mais une seule et même addition, vraisemblablement très salée, puisque le couple est en crise à l'Instant où commence la partie. Les deux amants, par lâcheté peut-être, vont alors chercher à oublier ces scènes quotidiennes à la fois douces et rugeuses.


Vous me connaissez, je ne suis pas un fétichiste de l'objet. Pourtant, je veux dire que le support de ce jeu est une véritable œuvre d'art. Christoph, Sylvie mais aussi Virginie Stubi ont réalisé là un travail de toute beauté. C'est du génie ! Le support de ce jeu n'est pas un livre épais avec une couverture cartonné, c'est un message à part entière, une douce carte postale directement envoyée à tous ceux qui pensent que le support d'un jeu ne peut pas être une œuvre d'art. 

L'ironie du sort, c'est que Christoph Boeckle lui-même, quelques mois auparavant, me soutenait que les auteurs de jeux de rôle n'étaient pas des artistes. Je ne peux m'empêcher de sourire, tant son travail démontre le contraire. Les Petites Choses Oubliées sont l'exemple qui manquait à mon argument. A-t-on vu plus grande cohérence interne entre l'oeuvre et son support dans un jeu de rôle ? Les émotions que visent à produire ce jeu sont comme imprimées sur son support. La base de ce jeu de rôle est aussi délicate que son thème, aussi simple et pure que les Instants magiques qu'elle veut proposer.


On pourrait croire que le jeu est cher pour le petit matériel qu'il propose. Mais, en vérité, derrière ces photos, il y a de bonnes règles et, derrière ces règles, il y a l'immense sensibilité de trois artistes. Un jeu comme celui-là fera partie de l'histoire du jeu de rôle, un jour. Vous regretteriez aujourd'hui de ne pas avoir acheter un Vermeer, sous prétexte que le cadre paraissait trop petit à l'époque, alors ne passez pas à côté des Petites Choses Oubliées, c'est un chef d’œuvre !

Si vous voulez en savoir plus sur ce jeu, je vous invite vivement à écouter le podcast de La Cellule qui lui est consacré.

http://www.limpromptu.net
http://www.hardyvivi.com